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Faire le portrait d'une inconnue et lui inventer une vie.

 

 

Sa beauté me subjugue. Grande et mince, elle est habillée de blanc. Son corps d’ébène parait incroyablement musclé. Je la contemple comme on regarde un tableau.

Mon regarde insistant l’importune.

« Mais qu’est-ce qu’elle a, cette grosse conne, à me regarder comme ça ? »

La magie est finie. Je descends à la prochaine.

 

Maryama

Elle était arrivée en France à l’âge de six ans. Ses parents, comme il est de coutume au Sénégal, l’avaient donnée à une tante, la sœur de sa mère, qui ne pouvait pas avoir d’enfants. Eux, ils en avaient déjà cinq.

C’est ainsi qu’elle s’était retrouvée le 6 janvier dans la cour de l’école d’une banlieue pauvre de la région parisienne.

Une cour d’école triste et grise entourée de hautes grilles, et d’immeubles aussi tristes et aussi gris.

Tristes comme son humeur, gris comme sa peau, confrontée au froid pour la première fois si brutalement sous le petit manteau étriqué qui découvrait ses poignets. Il faisait moins dix degrés.

Elle regardait autour d’elle, étonnée par le grouillement et les cris de cette multitude d’enfants.

Deux cent cinquante enfants de toutes tailles et de toutes couleurs, dont pas un ne parlait le woolof.

Elle avait été confrontée à l’écrit avec stupéfaction, et avait vite compris le parti qu’elle pouvait tirer d’un stylo.

Cela l’avait enchantée.

La piscine la ravissait.

Elle fut quasiment en état de sidération, jusqu’à ce qu’elle ose s’approprier les crayons de couleur, qui lui ouvrirent un monde plus gai et plus lumineux.

Elle mit alors une bonne volonté touchante à apprendre le Français, passées les deux premières semaines de stupéfaction.

Prise sous l’aile d’une petite camarade métisse dont le père était lui-même Sénégalais, elles formèrent très vite une paire d’amies indissociables.

Maïla avait à cœur de lui apprendre tout ce qu’elle pouvait.

Les deux complices venaient se planter devant l’institutrice, au beau milieu de la cour.

- Maîtresse, maîtresse, regarde, Maryama parle le français, maintenant !

Et Maryama, dans un grand sourire, de réciter « Bonjour, Maîtresse, comment tu vas ? »

Puis elles s’enfuyaient en courant, riant et gloussant comme des folles.

Leur manège se répétait jusqu’à ce que la maîtresse, fatiguée d’avoir répondu cinq ou six fois en vingt minutes de récréation « Bonjour, Maryama, je vais bien, merci » les renvoie fermement à leurs jeux.

La semaine suivante (voire deux jours plus tard), c’était une autre phrase….

Puis elle apprit à lire, et tout un monde s’ouvrit devant elle.

Sa scolarité fut brillante, ce qui ne lassait pas d’étonner autour d’elle.

Elle entra au collège.

Ses camarades la regardaient comme une bête curieuse. Pour qui se prenait-elle, celle-là, avec ses grands airs et ses grands mots ?

Ses professeurs l’adoraient, elle dénotait vraiment dans ce collège de ZEP où la règle était le refus.

Refus du savoir, refus de l’effort, refus de l’autre et de la culture. Refus du prof.

Ostracisée par ses pairs, Maryama se réfugiait de plus en plus dans les livres.

Elle entra au lycée, se fit une ou deux amies, mais Maïla resta son point d’ancrage.

Elle ne se rendait pas compte de sa beauté, toujours encline à se défendre contre les regards et les jugements. La méfiance était sa règle.

Et un jour, dans le métro pour se rendre à la fac, une grosse femme assise en face d’elle n’arrêtait pas de la dévisager….

Séverine L.

 

 

Tag(s) : #Textes de participants, #Séverine L., #La Passagère
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