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Autoportrait sur la grève à marée basse

La mer est basse et très lointaine. Pour aller voir les parcs à huîtres, elle commence à marcher dans le sable mouillé qui ressemble à une boue de thalasso, ses pieds s’enfoncent un peu mais cela ne dure pas longtemps, le sol devient rapidement plus solide sous une eau douce, peu profonde et presque chaude. De minuscules crabes et alevins y circulent, des petits trous dans le sable annoncent des coques cachées en dessous et des couteaux.

Elle a une allure encore jeune malgré ses 77 ans bientôt. Elle est d’une taille moyenne, plutôt mince, elle porte un short en jean et ses jambes nues sont déjà bien bronzées. Ses cheveux méchés encadrent son visage, ses yeux ont un peu la couleur de la mer, son visage sourit à la vie et elle paraît très heureuse. Elle se sent encore plus libre au milieu de cette nature authentique qu’elle aime par-dessus tout. Elle observe ce qui l’entoure : les travailleurs de la mer avec leurs tracteurs qui profitent de la marée basse pour déplacer ou charger les paniers à huîtres, les maisons de pêcheurs et les villas de vacances accolées les unes contre les autres en pierres grises avec des volets blancs, toutes plus belles les unes que les autres. De la grève, elle peut voir les collines vertes derrière les toits des maisons.

Le fort de la Hougue domine majestueusement le paysage. Le soir, de la fenêtre de sa chambre, elle peut le voir illuminé, il est méconnaissable, l’éclairage donne l’impression de deux immenses voiles dorées dressées vers le ciel.

Elle respire à pleins poumons cet air léger, pur et iodé. Elle se sent déconnectée comme atterrie sur une autre planète, celle de la beauté, de l’insouciance et de l’amitié. Elle profite pleinement de ces instants comme elle sait faire à chaque fois qu’ils se présentent.

 

Voir, écouter, sentir

. Un noyer architecturé et déployé de ses immenses ramures à un carrefour d’allées.

. Quatre noms bien alignés sur un espace vert : Morriot, Le Men, Remes, Billier, comme dans les églises d’antan sur les chaises nominatives, ou bien sur les tombes dans les cimetières ? Non, ce sont des places de parking !

. Petit hameau désert où les maisons et les terrasses patientent en attendant l’été pour revivre avec les vacanciers.

. Sur le macadam d’une fin de ruelle, la mer écume et vient s’éteindre doucement en petites vaguelettes transparentes.

. Mer grisée comme le ciel uniformément.

. Grande maison granitée et ardoisée aux cinq cheminées.

. Les vaguelettes retirées et revenues comme animées par un élastique.

. Descente d’escalier odorante du café du matin.

Le dernier jour du gardien de phare

Ce soir j’écris la dernière page de mon journal de gardien de phare de mer. J’ai fait mon temps. Demain, le bateau vient me chercher avec tous mes paquets et amène mon successeur. Pendant huit jours, le mois dernier, je l’ai mis au courant de tout ce qu’il aurait à faire. Il a 30 ans, il est un homme de solitude comme moi, pas de femme, pas d’enfants, il n’y a que la mer qui compte.

Depuis une semaine,  je range et mets en carton mes affaires. En 40 ans, j’en ai amassé des choses. Les souvenirs sont nombreux mais ne tiennent pas dans une valise ; ils sont ancrés à tout jamais dans le cœur. Je suis à la fois heureux et triste de quitter mon phare de mer, avec lui c’est un peu ma vie que je quitte. Je ne suis pas un homme de la terre, je suis un homme de la mer avec ses tempêtes, ses eaux calmes, avec la brume, le soleil, les bourrasques , toutes ces nuits passées à veiller pour que tout aille bien. Mes seuls compagnons ont été les oiseaux, les poissons et les bateaux qui passent , et « mes » chats parce que en 40 ans, il m’en a fallu plusieurs !

Ma dernière nuit sera agitée, je le sais, la météo n’est pas bonne et la tempête Vania est annoncée vers 20 H. Je suis prêt. Tous mes réglages sont faits, les radios fonctionnent bien, mais je ne dormirai sûrement pas beaucoup cette nuit. Un gardien de phare, c’est fait pour garder, pour surveiller, pour prévenir, pour protéger les bateaux et leurs marins. C’est mon métier que j’ai aimé plus que tout.

Avant la tempête, je vais me bourrer une bonne pipe, celle qui est en écume de mer, elle m’a été offerte par un commandant anglais venu visiter mon phare il y a bien longtemps ; elle est bien culottée et c’est ma préférée. Pour arroser mon départ, je vais me servir un bon whisky bien tourbé.

Les heures passent, mes cartons sont scotchés, ma pipe est éteinte et mon whisky terminé. Et voilà Vania arrive, les météorologues ne s’étaient pas trompés. Le vent a forci très nettement et très rapidement. Il fait très sombre. Une pluie diluvienne se confond avec les gerbes d’eau de mer qui viennent fouetter le phare. Les vagues sont gigantesques (au moins 15 m de haut) et se fracassent sur les rochers. La tempête s’accompagne, comme souvent, d’un orage violent. Des éclairs surgissent de partout, un vrai feu d’artifices. C’est magnifique, je suis vraiment gâté pour ma dernière nuit.

Rodolphe, mon chat noir, pousse des miaulements bizarres et son poil est tout hérissé. Le vent est tellement violent que j’entends à peine les grondements du tonnerre. Je scrute l’horizon, la nuit est tombée avant l’heure et je ne distingue plus rien en dehors du faisceau lumineux du phare qui tourne régulièrement. Je vais d’une fenêtre à l’autre, c’est un rideau d’eau total, j’ai l’impression d’être immergé.

Tout d’un coup, à ma gauche, je vois arriver une tornade blanche d’une violence incroyable, en avançant, elle tourne sur elle-même. Elle approche du phare et l’enveloppe dans son tourbillon. Plus d’électricité, plus de radio. Je suis coupé du monde. J’ai l’impression que le phare a été touché par la foudre. Tout bouge sous mes pieds. Je suis catapulté contre la paroi de l’autre côté de l’observatoire. Ma tête touche un objet contondant, peut-être un compas et je perds connaissance.

Le lendemain matin de cette soirée fatidique, Vania ne sévissait plus et le bateau est venu me chercher comme prévu. Ils m’ont trouvé sans connaissance avec une belle blessure à la tête et Rodolphe assis près de moi miaulant désespérément. Ils m’ont conduit à l’hôpital pour me soigner et j’ai repris mes esprits croyant avoir fait un cauchemar mais ma mémoire n’a pas été altérée. J’ai pu achever ce journal deux jours après.

Finalement je me sens très bien les pieds sur terre. Je donne des cours de gardien de phare de mer et j’ai le plaisir de transmettre mon expérience entre ciel et mer.

 

Marée noire

En 1978, j’habitais La Baule. L’appartement sur le remblai se trouvait face à la mer.

1978 est l’année fatidique du naufrage du pétrolier l’Amoco Cadix causant une immense marée noire impossible à stopper, des milliers de tonnes de pétrole se déversaient sur le littoral. Les dégâts étaient considérables sur toutes les côtes bretonnes. Toute la faune était touchée. Des bénévoles tentaient de sauver le plus possible d’oiseaux : mouettes, cormorans, englués et immobilisés dans ce liquide noir et visqueux. Les plages étaient noires avec des boules de goudron partout. La plage de La Baule n’était pas épargnée, nous ne pouvions plus nous y promener, le dessous des chaussures était noir, il fallait se déchausser en entrant dans l’appartement, les pattes du chien l’étaient également et il fallait les nettoyer avec un diluant. Tous les bords de mer étaient atteints les uns après les autres et nous n’en voyons pas la fin. Les rochers de la Côte Sauvage étaient complètement goudronnés.

Les stations balnéaires touristiques étaient très inquiètes pour la prochaine saison estivale qui s’annonçait déplorable. C’était une catastrophe écologique sans précédent causée par les hommes et engendrant un sentiment d’impuissance.

Sur la plage, d’énormes engins n’en finissaient pas d’enlever le sable pollué et à chaque marée, le flux était à nouveau chargé de ce produit noir, infect et malodorant qui pénétrait partout dans chaque interstice.

Pendant des mois cette marée noire a continué, et puis, petit-à-petit les choses se sont calmées, la nature a repris ses droits mais le souvenir a perduré dans les mémoires et reste toujours présent.

 

Ici et là-bas.

Le fort de la Hougue me rappelle le fort de Vauban à Belle-Ile avec les remparts habillés de lierre, de valériane et de multiples autres plantes dont je ne connais pas le nom. On dirait un mur végétal.

Comme là-bas, le clocher résonne à midi et le cri des mouettes rythme cette ambiance grise, éventée, embrumée de mer qui se retire nonchalamment pour laisser un rivage désolé sous le ciel du même gris.

Les vagues aux couleurs d’huîtres me font penser à celles mugissantes sur la plage déserte de la Turballe près du Croisic où je faisais des galops effrénés avec mon cheval de cœur Garastot.

Et puis ces algues un peu trop marron laissées par la mer pour former d’énormes monticules informes ressemblant à des monstres…marins.

La « banane » ou le « sourire du plombier » ne sont ni d’ici, ni de là-bas, ni d’ailleurs ; ils n’ont pas d’époque et pas de lieu et ne peuvent être compris que par les participantes de ce stage. On en parle juste pour rire en revenant du Fort de la Hougue !

Pascale G.

 

Tag(s) : #Textes de participants, #Ecrire la mer, #Pascale G
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